Dominique Colonna: "Ghjuvan Micheli Weber,Cuntrastu cù un mazzeru/ Dialogue avec un mazzeru, Colonna éditions, 2017, 167 pages"
Écrire sur le thème des mazzeri, semble à priori un exercice compliqué,
voire périlleux, une démarche dont l’intérêt dépendra surtout de la forme
choisie pour la mener.
Ce terme mazzeru recouvre en effet,la réalité d’un monde archaīque et
complexe, par le biais d’un personnage qui est aussi une personne,
appartenant donc à la fois au mythe et aux croyances, et au cercle étroit du village et de ses codes sociaux.
Comment dès lors aborder la problématique de ces êtres doubles, initiés par le rêve et l’appel impérieux des ancêtres, menant des chasses nocturnes et fatales.
Comment leur donner la parole, sans franchir les seuils interdits? C’est sans nul doute ce que Ghjuvan Micheli Weber a réussi à faire en proposant ce Dialogue avec un mazzeru, forme d’écriture originale, actuelle. L’échange est complice et respectueux, la confiance en l’autre permet de libérer la parole.
L’auteur livre ses propres interrogations entre deux entrevues, lui-même en recherche, il ne peut pourtant aller trop loin sans risquer de rompre l’échange.
Le lecteur a le sentiment d’être l’invité privilégié d’un échange qui met à sa portée un monde ignoré, en découvrant une confession brute, abrupte, parfois déconcertante.
Les propos sont enregistrés aucun rajout n’en atténue le sens. Cela donne une véritable authenticité à l’ouvrage.
Celui-ci se termine par un monologue du mazzeru décédé, réflexion incisive sur l’île, ses valeurs en mutation, son espoir aussi.
Subtilement, Weber fait intervenir les principes de l’Amour et de la
Connaissance rapprochant les règnes animal, végétal, humain dans une
symbolique totémique évidente.
Ce mazzeru qui raconte, par bribes, un monde vertical, oblige le lecteur à une pause dans son propre cheminement intérieur et spirituel.
Si Weber prend un risque en proposant ce type d’ouvrage, il fait aussi le
pari (réussi), de rendre aux corses leur part de rêve, de mystère, de lien étroit avec l’univers.
La forme bilingue choisie permet le basculement d’une langue à l’autre en retournant le livre, geste symbolique, car changement d’univers flagrant. La langue reprend tout son sens, il faut d’abord et surtout lire ce livre dans a version corse, pour y retrouver l’essentiel, le mot juste pour dire un univers qui touche à l’intime, à une conscience collective.
Ainsi le jury du Prix du livre corse a choisi de primer et de faire connaître ce beau livre, à la démarche initiatique, parfois hermétique, toujours
passionnante.
Di fattu stu Cuntrastu cù un mazzeru , ùn saria un cuntrastu cù sè stessu ?