Jean-Pierre Girolami: "A propos d'Hélène Costanty, Razzia sur la Corse, Fayard, 2012, 252 pages"
 
 
Une enquête journalistique pour mieux comprendre les mécanismes d’une spéculation immobilière galopante
 
La Corse a su préserver de l’urbanisation plus de la moitié de ses mille kilomètres de côtes, ce qui traduit un taux de protection des espaces naturels supérieur à celui du littoral continental dont la façade méditerranéenne n’offre plus que 30% de terres vierges. Toujours sauvage et belle, la Corse du bord de mer a échappé dans un premier temps à la baléarisation qui dans les années 60 la menaçait de défiguration. Etabli par la Datar mais tenu secret, le fameux rapport américain du Hudson Institute prévoyait en effet de quadrupler le nombre de touristes dans l’île en développant considérablement les hébergements de vacances.

Divulgué, ce document met le feu aux poudres. Car les Corses loin de percevoir ce projet pharaonique comme un atout économique y voient au contraire un facteur de dilution de leur identité. En réponse, des bombes ciblèrent centres touristiques et bâtiments publics au cours de nombreuses nuits bleues dont l’écho est démultiplié par les médias. Agissant de son côté, le Conservatoire du littoral achète pour les geler des espaces remarquables qu’il entend ainsi préserver de la pression immobilière. Enfin, la Loi littoral interdit depuis 1986 toute construction dans la bande des cent mètres du rivage. Des associations environnementalistes veillent à son application.

Mais tous ces remparts n’ont pas suffi à endiguer la menace. La spéculation immobilière a pris récemment un tour aigu avec l’intrusion du grand banditisme. Certains projets touristiques qui fleurissent sur les côtes continuent d’être la cible des dinamiteros. Des constructions sont dénoncées par les associations de défense de l’environnement sujettes elles mêmes à des pressions en déférant devant le tribunal administratif de Bastia ce qu’elles estiment des violations de la Loi littoral.

Pour clarifier cette situation inédite il fallait mener une investigation en terrain difficile. Le résultat est un livre-enquête bien documenté « Razzia sur la Corse. » La journaliste indépendante Hélène Constanty a interrogé policiers, élus, hauts fonctionnaires et militants associatifs en se heurtant parfois à un mur de silence. Replaçant à chaque fois les déclarations dans leur contexte chronologique, elle met en perspective quarante années d’histoire mouvementée de l’île.

Au terme de trois années d’enquête, « Razzia sur la Corse » jette un pavé dans une mare déjà trouble, dénonçant une dérive qui n’épargne personne. De Sperone aux Agriate, de Cavallo à la Revellata, Hélène Constanty démonte l’engrenage d’une spirale inquiétante : bombes et racket contre vente des terres, meurtres sans mobile apparent.

Le Jury du Livre corse en distinguant Hélène Constanty - journaliste

d’origine insulaire couvrant l’actualité corse pour l’Express - a voulu saluer un livre courageux qui alimente le débat public sur un problème sociétal essentiel pour l’avenir de la Corse.

Soucieuse d’éviter le plaidoyer comme le réquisitoire, l’auteur se garde de toute moralisation. Rapportant faits et propos sur le ton du constat, elle jette une clarté bienvenue dans le maquis touffu des affaires immobilières.