Jean-Pierre Girolami: "A propos de Laure Limongi, On ne peut pas tenir la mer entre ses mains, Grasset, 2019, 288 pages"
Quand elle s’invite dans un roman, l’autobiographie pose des masques. Du tiroir où sont enfermés les souvenirs, elle laisse échapper des paroles inévitables comme enfance, famille, secrets. Pour son onzième ouvrage qu’elle publie chez Grasset, la romancière Laure Limongi se cache à travers un double, le personnage de Huma, une gamine qui lui ressemblait jadis. Plus qu’un simple décor, cette Corse qu’elle retrouve si longtemps après, reste un lieu mythique fascinant et redouté, terre des origines et du secret.
Née en 1976, élevée entre une grand-mère acariâtre et des parents énigmatiques, Huma est trop jeune, trop tendre pour comprendre de quoi est fait ce monde en proie à la violence : attentats de nuit, manifestations de jour.
Cette période révolutionnaire correspond aussi à des élans d’enthousiasme. « C’était cette tranche d’histoire que je voulais raconter avec ce secret de famille : le silence qui enferme, gangrène les relations… » Après quelques années hors de l’île, Huma débarque à Bastia, « sur ce sol qui était une plaie béante », et retrouve les siens, cherchant à savoir ce qui s’est joué durant son absence. Ses cousins lui demandent si elle va raconter « notre histoire. »
« Je les trouvais gonflés de me demander de déterrer ce que plusieurs familles liées par des alliances avaient mis des générations à enfouir soigneusement sous le poids douloureux du secret... Mais un récit pourrait-il guérir « ce qu’elle ne voulait pas guérir ? »
Associant à l’écriture romanesque une sensibilité de musicienne, Laure Limongi mène un récit rythmé, où les personnages, entre désirs et frustrations, sont au bord de la crise de nerfs, où la famille risque d’imploser à tout moment.
Dans ce roman où jaillit, drue, une langue de haute tenue, Laure Limongi intègre parfois des mots de la tribu, cette langue des origines qui reprend sa place naturellement comme un signe d’identité, dès que le bateau du retour s’approche du quai dans les cris familiers et les saveurs de l’iode.